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Le festin nu de Roger Ballen
© Roger Ballen

Le festin nu de Roger Ballen

Jusqu’au début de l’année prochaine, l’ogre de la photographie sud-africaine est à l’honneur d’une exposition à la Halle Saint Pierre, haut lieu de l’Art Brut. L’occasion de revenir, aux côtés de l’artiste, sur ses nouveaux projets. Prenez garde, ils sont légion.

Depuis des décennies, Roger Ballen siège au chevet de l’humanité. Il en explore la psyché, à travers une écriture photographique hyper troublante, pulsionnelle et libre. Né à New York en 1950, géologue de formation, Roger s’est installé en Afrique du Sud en 1982. Rapidement, il va saboter sa jeune carrière professionnelle au profit d’une fantaisie beaucoup plus risquée : la photographie d’une Afrique du Sud désœuvrée et rurale. « Lorsque Roger Ballen photographie ces Sud-Africains marginalisés par la peur, la misère et l’isolement, il transforme le temps de ceux-là mêmes qui vivent dans le monde du geste répétitif et absurde en un autre temps où ils deviennent les auteurs d’un univers plastique qu’ils ont engendré », explique à son endroit Martine Lusardy, commissaire de l’exposition Le Monde selon Roger Ballen, qui se tient à la Halle Saint Pierre jusqu’au 3 janvier 2021. « Les personnages de Roger Ballen sont représentés dans des espaces cellulaires indéterminés, crasseux et poussiéreux, sans fenêtres; seul le mur, omniprésent, en délimite le cadre tant physique que mental. Support de signes, de dessins, de graffitis, le mur, maculé, enregistre les récits, les croyances, les fuites impossibles. Tout comme les animaux, les objets fatigués — dérisoires ou insolites — sont élevés au rang de protagonistes surréalistes d’une scène dont ils brouillent encore plus le sens […]. L’absurde domine. »

L’artiste n’a cessé d’arpenter le cœur des ténèbres, de piocher dans les strates humaines les plus profondément enfouies, pour photographier à l’os, et mettre à jour l’isolement, l’étrange, la folie, la vraie. De Pompidou à la Tate Britain Gallery en passant par les pochettes et les clips du binôme Die Antwoord… L’intégrité et la puissance de son muscle créatif sont célébrées depuis plus de trois décennies aux quatre coins du monde. Exposé actuellement à Paris, Roger Ballen continue d’œuvrer sur sa terre d’accueil, l’Afrique du Sud : il finalise actuellement les travaux d’un bâtiment nouveau, le Roger Ballen Center for Visual Arts, une fondation dédiée aux artistes africains, évidemment basée à Johannesburg, où il vit toujours. Rencontre. 

Roger, avant d’évoquer votre accrochage parisien, parlez-nous des avancées de la construction de votre fondation, Roger Ballen Center for Visual Arts… Où en est ce projet?

La construction du bâtiment s’est achevée durant le confinement. Nous sommes actuellement dans les derniers détails, mais le centre est enfin fini, c’est hyper inspirant ! Il se trouve à Johannesburg, pas très loin de chez moi d’ailleurs. Je n’avais pas de compétences particulières en architecture, aussi j’ai engagé un maître d’œuvre et le résultat y est ! J’ai pu apporter quelques pierres à l’édifice, notamment la transformation de l’espace boutique initialement prévu en une salle de projection vidéo qui manquait alors. Construire ce genre de bâtiment en Afrique du Sud peut devenir très très compliqué, très coûteux, mais les travaux se sont hyper bien passés, dans la confiance. De quoi me motiver à poursuivre l’aventure. 

© Roger Ballen

Allez-vous être en charge de la programmation artistique de cette fondation?

Pas à 100%. En même temps, je ne peux pas porter un projet de la sorte pour ensuite en confier les rênes à n’importe qui en lui disant vas-y fait tout ce que tu veux dedans maintenant tu as carte blanche. Cet espace honorera un certain nombre de critères qui comptent pour moi. Il y sera évidemment question d’Art contemporain, de culture africaine dans son ensemble et plus particulièrement de culture sud-africaine. Je ne me vois pas être le curateur attitré de la fondation. Mais j’y jouerais un rôle, c’est certain. 

Quel genre d’artistes pourra-t-on y voir ? Quelles seront les modalités pour y être exposé ?

Il y aura plusieurs prérequis. D’abord, je pense que, d’une façon ou d’une autre, le travail des artistes invités aura quelque chose à voir avec les esthétiques que je développe depuis des années. En termes de message, de profondeur psychologique, le travail sur le subconscient, le travail sur les paysages mentaux sont autant d’éléments qui seront déterminants. Je veux présenter des œuvres qui frappent les gens, qui les bousculent de façon brute, frontale, sans avoir besoin d’être analysées. Je vois trop d’œuvres sans la moindre substance, nourries par CNN, Instagram ou Time Magazine. L’idée est de présenter exactement l’opposé. Ensuite, je veux que les travaux que nous présenterons traitent tous, de près ou de loin d’identité, d’esthétiques africaines. C’est un problème épineux, car il existe à ce jour très peu de lieux d’exposition privés à offrir ce genre de propositions ici. Mais l’idée est de former, d’éduquer en local un public à ces toutes questions. 

Sacrée responsabilité. Comment êtes-vous venu à cette volonté de transmission ?

Par coïncidence finalement. Je fais tourner ma fondation depuis 2004, 2005. Cette structure nous a permis d’organiser des conférences, des interventions d’internationaux dans les universités ici. Au fil des années, j’ai également sponsorisé des concours, des expositions, des publications. Mais Johannesburg n’est pas Paris. À la différence des grandes villes d’Europe, il n’existe ici que très peu de lieux pour recevoir des artistes. Ces lieux d’expressions sont extrêmement rares, et les créatifs ont bien du mal à exister ici. Lorsque cette propriété à proximité de chez moi est devenue disponible à la vente, je l’ai achetée pour y installer la fondation. L’emplacement était idéal. Il faut un lieu. Sans lieu, même avec les meilleures idées du monde, tu n’es rien. 

© Roger Ballen

Justement, votre invitation à la Halle Saint Pierre, un haut lieu de l’Art Brut mondial, doit avoir une saveur toute particulière pour vous, j’imagine ?

La Halle est un endroit que je fréquente depuis des années, et c’est sûrement le musée que je préfère au monde. J’ai toujours aimé l’Art brut. Les Arts primitifs me parlent depuis toujours, et j’ai moi-même beaucoup bossé avec des habitants des marges sociales (cf. le superbe projet de Roger intitulé Outland). À la Halle, je me suis senti au bon endroit, comme chez moi. D’autant que la collaboration avec Martine Lusardy, la commissaire des expositions ici, s’est déroulée merveilleusement bien. J’aime le fait que la scénographie du lieu soit circulaire, contrairement à la majeure partie des espaces muséaux de par le monde, qui sont presque tous rectangulaires. Il m’a fallu pas mal de temps pour appréhender cet espace, je le trouvais énigmatique, troublant, car il y est difficile de lier les œuvres entre elles. Mais nous y sommes parvenus, et je suis très heureux de cet accrochage. Cette exposition pour moi est absolument mémorable, et je suis ravi qu’elle soit prolongée jusqu’au début de l’année 2021, afin que le public bloqué durant le confinement puisse la découvrir. 

Dans cette exposition, on sent que les illustrations prennent de plus en plus de place dans votre œuvre…

Je dessine dans mon œuvre depuis 2002. Au fil du temps, ces illustrations, ce geste dessiné est devenu complètement prévalent. Au point que cette esthétique que certains appellent « Ballenesque » ne peut plus se séparer aujourd’hui du dessin. Dessins qui sont eux-mêmes devenus plus complexes avec les années. Durant le confinement j’ai passé neuf semaines, tous les jours sauf une journée, à réaliser des illustrations sur toiles. Une véritable première depuis mes débuts en 1973. Et j’étais plutôt satisfait des résultats. J’ai peint de fin mars à début juin, tous les jours. Depuis juin, je ne fais plus que de la photographie. 

Vous venez de finir un nouvel ouvrage, assez mystérieux, intitulé « Roger The Rat« , c’est bien cela ?

Écoute, je viens de recevoir l’ouvrage imprimé aujourd’hui même (rires) ! C’est l’éditeur allemand Hatje Cantz qui s’occupe de cette sortie. J’en ai fait un film également. Initialement, il s’agit d’un livre photographique autour d’un homme qui pense être un rat. Il ressemble et s’habille comme un rat, et se comporte de façon… absurde.

© Roger Ballen

Vous vous êtes également frotté il y a peu à l’expérience du studio avec Die Antwoord, pour qui vous apparaissez en featuring sur leur dernier album HOUSE OF ZEF ?

Je vais être honnête avec toi, c’était une première pour moi, je n’avais jamais fait ça auparavant. Je n’avais pas la moindre idée de ce que ma voix pourrait donner mais nous étions plutôt satisfaits du résultat. Nous avons mis en boîte une poignée d’autres morceaux, et je crois qu’ils seront peut-être utilisés plus tard. Peut-être à l’occasion de la sortie de leur documentaire. 

Un documentaire sur Die Antwoord?

Oui, j’en suis le réalisateur. Il s’agit d’un film documentaire d’une heure, qui est pratiquement achevé à l’heure actuelle. Nous le sortirons lorsque les conditions le permettront. 


Roger a soixante-dix ans. Il vit toujours à Johannesburg. Rien ne semble l’arrêter : la nouvelle présentation de son exposition à la Halle Saint Pierre, Le Monde selon Roger Ballen est prolongée jusqu’au 3 janvier 2021. Le catalogue de ce superbe accrochage est toujours disponible, chez Thames & Hudson.

Son nouveau livre photographique Roger the Rat, réalisé à Joburg entre 2015 et 2020 est disponible chez l’excellent éditeur Hatje Cantz.

Le bâtiment du Roger Ballen Center for Visual Arts est enfin construit. Il se tient à Johannesburg. Ce musée ouvrira ses portes dès que la situation sanitaire le permettra.

Le film documentaire sur le duo Die Antwoord réalisé par Roger Ballen sortira courant 2021.

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